Spaghetti.
« Les pâtes, ce n’est pas compliqué, c’est Panzani. » Cette phrase prononcée par mon père m’a marquée. Je me souviens que nous faisions les courses au Carrefour du Merlan, l'hypermarché des quartiers nord de Marseille. La mémoire fonctionne bizarrement. Des phrases et des images nous marquent plus que d’autres, mais quel sens y trouver ? Peut-être que le paquet de pâtes, c’est moi. Difficile à croire, je sais. Quand mon père prononça cette phrase, on venait de me placer en rayon. Une semaine sur deux, on me trouvait parmi les pâtes du Carrefour du Merlan. Bien qu’encore au stade de l'enfance, le fait que je sois un spaghetti ne suscitait déjà aucun doute. Connais-toi toi-même, dit l’adage socratique. Mais qui suis-je, sinon un paquet de spaghetti Barilla. Mais pourquoi Barilla si « les pâtes, ce n’est pas compliqué, c’est Panzani » ?
Car je crois en la théorie des 95%. Vous ne la connaissez pas ? Nous sommes tous conditionnés comme des pâtes, dominés par un déterminisme que nous feignons d'ignorer. En voici la preuve. Observez les aspects que prend une société dans un espace déterminé et vous constaterez que tous les agents se ressemblent jusqu’à l’identique, exactement comme dans un rayon de supermarché. Hier en longeant le canal Saint-Martin, le froid de l’hiver persistait accompagné d’un grand soleil. J’étais entouré de polaires blanches, de lunettes rondes et de petits bonnets. Toute cette fourmilière de petits ours blancs homogènes se ressemblait comme un troupeau de moutons dans le ciel bleu de l’après-midi.
Moi, je mesure davantage que la moyenne et pèse moins. Même si je me mettais en boule, nulle chance que l’on me confonde avec une coquillette. Si je devais m’habiller, je prendrais du M ou du L. Alors je reste lucide. Qui suis-je ? Rien de fantaisiste, juste 500 grammes de spaghetti. J’observe les autres autour de moi. L’élégance des linguines. L’excentricité des fusillis. Comment ne pas envier les rigatonis ? Ma silhouette à moi apparaît fine et élancée tel un épi de blé et mes cheveux blonds deviennent complets en hiver. Usiné à Marseille comme mon père, mes racines proviennent d’une méditerranée dont la culture du blé n’a su que partiellement combler la faim. Mais pourquoi diable Barilla si les pâtes, ce n’est pas compliqué, c’est Panzani ?
J’ai poussé à un cil de la mer, avec mon petit frère aux épis qui poussaient au-dessus de la tête. Son meilleur ami s’appelait Lustucru. Aimant bien ce prénom, je me disais que si un jour j’engendrais un petit épi de blé, je l'appellerais Lustrucru. Longtemps plus tard, en consultant le classement des prénoms les plus donnés, j’ai constaté que Lustrucru y figurait tout en haut. Alors j’assume n’être qu’un paquet de spaghetti. Mais avec les cinq pourcents de liberté qu’il me reste, je dirai à mon fils que « les pâtes ce n’est pas compliqué, tu peux choisir celles que tu préfères ».
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